13e Forum des langues
" La plupart des langues sont menacées de disparition "
Pour Roland Breton (1), professeur émérite à l’université de Paris-VIII, la globalisation économique et l’hégémonisme de l’anglais entraînent un appauvrissement du patrimoine culturel mondial.
Toutes les langues du monde sont-elles apparentées ?
Roland Breton. Affirmer qu’une langue primitive aurait donné naissance à toutes les langues du monde serait une absurdité totale. Lorsque l’espèce humaine est née, en Afrique, elle ne parlait pas. Le langage est apparu dans l’humanité alors que celle-ci était déjà répartie un peu partout dans le monde. Il y a eu vraisemblablement plusieurs foyers d’apparition du langage. Ce ne sont là que des hypothèses ? à l’époque préhistorique, il n’y avait PAS d’écriture, donc pas de traces de la langue.
Quelle différence faites-vous entre une langue et un dialecte ?
Roland Breton. Le dialecte est une subdivision de la langue. Entre deux dialectes d’une même langue, la compréhension est possible. Par exemple, une personne parlant le champenois et une autre le picard vont se comprendre, même si elles ne s’expriment pas exactement pareil. En revanche, deux personnes utilisant des langues différentes, par exemple le basque et le breton, ne peuvent se comprendre que s’il y a eu apprentissage de la langue de l’autre. Il ne faut pas confondre dialecte et patois, mot dévalorisant qui n’existe qu’en France et inventé par le pouvoir jacobin, qui ne voulait qu’une seule langue dans le pays, le français.
Pourquoi parlez-vous de pluralité linguistique fragile ?
Roland Breton. Les États constituent un facteur fondamental : ils prescrivent des normes linguistiques dans les écoles, les médias, imposent des langues officielles et tendent à éliminer les parlers locaux. Il existe sur la planète une centaine de langues d’État, officielles. Environ quatre cents autres langues sont protégées. Et les milliers d’autres ? Les langues orales, celles qui ne sont pas codifiées, qui ne sont pas dans les dictionnaires, sont les plus vulnérables. Très peu d’États sont sensibilisés à ce problème.
Y a-t-il des langues, comme certaines espèces animales, en voie de disparition ?
Roland Breton. La diversité linguistique, patrimoine culturel de l’humanité, est encore plus menacée que la biodiversité, patrimoine naturel de l’humanité. La plupart des langues sont menacées de disparition. Or une langue, même si elle n’est parlée que par dix mille personnes, exprime une connaissance du monde. C’est un réservoir culturel, mythologique. Ne voir dans une langue qu’un outil de communication est un réductionnisme dangereux.
La globalisation économique est-elle une menace pour la diversité linguistique ?
Roland Breton. La globalisation économique s’accompagne d’une globalisation linguistique. Il y a un risque d’hégémonie de l’anglais, même si chaque langue se défend. Aujourd’hui, la plupart des publications scientifiques, même celles de l’Institut Pasteur, sont en anglais. On exprime moins facilement des nuances dans une langue d’adoption que dans une langue maternelle. On s’achemine vers un anglais basique international. Et c’est grave : cette pseudo-homogénéité de l’humanité est un appauvrissement. Même les grandes langues peuvent être menacées à terme.
Propos recueillis par B. V.