AU PAYS DE L'EPOUVANTE
L'ARMENIE MARTYRE
H. Barby
Les Volontaires Arméniens
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"Cette étude sur la résistance opposée aux massacreurs ne serait pas complète, si je ne parlais pas de volontaires arméniens qui, au cours de la guerre, s'enrôlèrent dans les différentes arménes alliées, et plus particulièrement dans l'armée Russe.
Déjà, dès les premiers jours de la guerre européenne, avant que la turquie n'y prit part, les agents du gouvernement turc, à Erzeroum et à Van, avaient engagé des négociations avec les représentants du parti arménien "Daschnakzoutioun" en vue de les engager à organiser des corps de volontaires arméniens, dont ils comptaient se servir au cours de la guerre qu'ils envisageaient contre la russie.
Nadji bey et Choukri bey (délégués du comité Union et Progrès), qui assumèrent cette mission, déclarèrent aux représentants des Arméniens :
"aidez nous, organisez des bandes de volontaires, tâchez en même temps de provoquer un soulèvement des Arméniens du Caucase, et, du jour où nous aurons chassé les Russes du Caucase, nous vous donnerons l'autonomie dont vous rêvez depuis si longtemps."
Les délégués arméniens opposèrent un refus catégorique à ces promesses fallacieuses. Ils cherchèrent même à dissuader les turcs d'entrer dans la guerre qui, disaient-ils, "seraient, dans tous les cas, désastreuse pour la turquie". Telle était, en effet, leur conviction. Toujours avec la même franchise, ils ajoutèrent :
"si la turquie entre en lice, les Arméniens feront loyalement leur devoir, mais ils le feront de chaque côté de la frontière, envers leurs gouvernements respectifs : en turquie dans l'armée turque, au Caucase dans l'armée Russe."
Cette réponse ne plût guère aux délégués trucs, pour lesquels la guerre contre la Russie étaist déjà chose décidée.
Bientôt, on mobilisa en turquie et, avec le recrutement de la jeunesse arménienne, commencèrent, sous prétexte de réquisition, la confiscation des biens, le pillage des magasins arméniens, la main-mise sur le bétail, en un mot, on ruina le commerçant, l'artisant et le paysan qui, cependant, accomplissaient leurs devoirs envers l'Etat et dans l'armée. (Naturuellement, il y eu "des déserteurs" arméniens, mais les musulmans désertèrent tout autant).
Bientôt, les autorités turques passèrent au système des persécutions, puis à celui de la déportation et des massacres.
Certes, les Arméniens de turquie se rendaient bien compte que la victoire des Alliés pourrait, seule, leur apporter la paix et la liberté. Néanmoins, je le répète, ils ne manifestèrent leurs sympathies par aucun acte.
Par contre, la déclaration de la guerre russo-turque provoqua le plus vif enthousiasme parmi les Arméniens de Russie et d'Europe. On organisa des meetings dans lesquels les patriotes arméniens donnèrent libre cours à leurs ardentes sympathies pour la Triple-Entente.
Des centaines de jeunes gens (étudiants et autres), à Paris et Marseille, par exemple, s'enrolèrent, comme volontaires, dans l'armée française, où nombre d'entre eux se distinguèrent par leur bravoure.
Il y eu aussi de nombreux enrôlements dans l'arméne anglaise, mais c'est plus particulièrement parmi les Arméniens russues que l'enthousiasme, pour la cause de l'Entente, prit la plus grande extension.
Prévoyant la déclaration de guerre de la turquie, Vorontzoff-Daschkoff, vice roi du Caucase, à cette époque, avait invité les notables arméniens de son gouvernement à organiser des corps de volontaires pour combattre les turcs, dans le cas où la guerre russo-turque éclaterait. En échange, il promettait de faire réaliser, dans l'Arménie turque, apres la victoire, le projet de réforme que la Russie, elle même, avait présenté en 1913. La tâche des notables arméniens de Russie fut aisée, car elle concordait avec les aspirations de tous les Arméniens du Causase - environ deux millions - qui depuis un quart de siècle, ont toujours secouru et aidé leurs frères de Turquie. L'enthousiasme fut même si grand qu'avant la fin de ces négociations russo-arméniennes, des groupes de volontaires se présentèrent, spontanément, à Kars et à Sarikamech, et demandèrent à rejoindre les troupes russes. Pour donner un cours régulier à ce mouvement patriotique, et afin de centraliser tous les courants de l'opinion arménienne on créa le "Bureau National Arménien" qui eut son siège à Tiflis.
Il fit appel aux fameux chefs Andranik, Keri, Dro, Hamazasp, etc..., militants éprouvés dans les luttes menées en Arménie, depuis un quart de siècle, contre la tyrannie hamidienne. Parmi eux le plus célèbre et le plus populaire était Andranik.
Toute la population arménienne du Caucase s'empressa d'apporter son concours (en hommes et en argent) à ce mouvement d'affranchissement national.
Le gouvernement russe limita le nombre des volontaires arméniens à environ sept mille. (Je ne parle pas des cent cinquante mille soldats de race arménienne qui se trouvaient dans l'armée russe).
Le premier corps de volontaires, sous le commandement d'Andranik, fut envoyé sur le front persan, le deuxième, commandé par Dro, fut dirigé sur Bayazet ; le troisième, avec Hamazasp, alla vers Kaguizman et le quatrième, avec Keri, partit pour Olty.
Les journaux (caucasiens et russes) ont relaté les exploits de ces volontaires arméniens qui, par leur bravoure et leur connaissance des localités et de l'ennemi, ont été, au début de la campagne turque, de precieux auxilères pour l'arméne russe. Bientôt, les noms d'Andranik et de Kéri, légendaires parmi les Arméniens, furent également célèbres pour les Russes.
Le corp de Kéri combattit, dans des conditions particulièrement difficiles, du côté de Sarikamech, où il a contribué à la victoire russe, aux heures tragiques de décembre 1914, quand les turcs, avec de grandes forces, passaient la frontière du Caucase et menaçaient Tiflis et toute l'Arménie russe. Dans cette tentative audacieuse qui se termina par la débâcle de l'armée turque, Kéri et ses volontaires jouèrent un rôle très important.
En avril 1915, les trois corps de Kéri, d'Hamazasp et Dro, réunis sous le commandement de Vardan, un autre chef arménien de haute valeur, marchèrent sur Van, où, on l'a vu, la population arménienne, sous la menace de l'extermination, s'était retranchée dans ses quartiers, et soutenait un siège héroïque.
Quand les volontaires arméniens, au nombre de trois mille, arrivèrent sous les murs de Van, les turcs prirent la fuite. Et, dans Van, délivré le 6 mai 1915, l'armée russe, précédée par le corp arménien, fit une entrée triomphale.
Kéri, Dro et Hamazasp se séparèrent alors, et, chacun, avec son corps de volontaires, continua à livrer de rudes combats aux kurdes. Ils affranchirent ainsi presque tout le villayet de Van.
Puis Dro se dirigea dans la direction de Mouch. Il entra, le premier, avec son corps, à Khnis-Kalé, et remporta une grande victoire dans la plaine de Mouch.
Deux mois plus tard, le corps d'Andranik se distinguait dans les importants combats de Dilman, à la frontière turco-persane, contre l'armée de Halil bey.
Vers cette époque, un cinquième corps de volontaires arméniens fut créé, avec l'autorisation du gouvernement russe, et mis sous les ordes de Ichkhan, un des plus anciens militants arméniens.
Sans vouloir donner le détail de tous les combats auxquels prirent part ces corps de volontaires, je dois cependant signaler encore la lutte héroïque d'Andranik et de ses hommes, autour de Bitlis où les volontaires arméniens entrèrent les premiers ; la mort héroïque de Kéri à Revandouze, alors qu'à la tête de ses troupes, le vieux chef conduisait un assaut victorieux.
M. Sazonoff a solennellement fait, à la Douma, l'éloge des volontaires arméniens et de l'esprit de sacrifice montré par toute la population arménienne.
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