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 les Arméniens d'Iran

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astrig




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MessageSujet: les Arméniens d'Iran   les Arméniens d'Iran Icon_minitimeMer 28 Jan - 2:29

Naïri NAHAPETIAN
République islamique et communautarisme : les Arméniens d'Iran

Une tradition de protection ségrégative
La présence historique des Arméniens en Iran
Une intégration sans assimilation
Après 1979, la thèse du départ
Le communautarisme ethnique d’une minorité religieuse dans la république islamique
Le droit d’être séparés
La loi, leurs droits, leurs limites
L’enjeu de l’enseignement
Une représentation politique double
Le repli sur soi communautaire
L’entente cordiale des “ Églises8 ”
L’entente cordiale des Etats
Malgré l’entente cordiale, “ l’auto-ségrégation ” volontaire
Conclusions
La situation actuelle des Arméniens en Iran ne peut se détacher d’une tradition historique faite à la fois de tolérance vis-à-vis des minorités religieuses et de “ ségrégation ” (ou plutôt de “ communautarisme ”). Mais les Arméniens représentent également une minorité linguistique et ethnique, et la République islamique est un Etat centralisateur dont la logique va contre tout éclatement de son identité. Les effets de la révolution de 1979 sur les Arméniens d’Iran se sont, dans ce cadre, traduits par un certain repli communautaire.
Une tradition de protection ségrégative
La présence historique des Arméniens en Iran
Selon Jean-Pierre Valognes1, il y a actuellement 150 000 Arméniens en Iran, concentrés en zone urbaine, surtout à Isfahan et Téhéran. Les Assyro-chaldéens, l’autre minorité chrétienne d’Iran, ne sont que 25 000.
[/size]La présence arménienne en Iran est continue depuis deux millénaires dans le nord-ouest du pays. Mais la plupart des Arméniens sont issus de déplacements de populations qui ont eu lieu à partir du XVIème siècle. Le souverain safavide Chah Abbas, en lutte avec l’Empire ottoman, fit de nombreuses incursions en Arménie et ramena 25 000 Arméniens en Iran. Ces épisodes historiques ont fait l’objet d’une mystification au sein de la communauté arménienne : Chah Abbas aurait calmement “ importé ” les Arméniens pour utiliser leurs talents d’artisans, et assurer la prospérité de sa capitale. La réalité historique est entachée de plus de violence. Après la mise à sac de la ville arménienne de Djolfa et la déportation de ses habitants à Isfahan, le quartier de Nor Djolfa fut fondé au sud du Zayenderoud (la rivière qui coule à Isfahan). D’autres transferts de population amenèrent des Arméniens à Téhéran, où ils se sont spécialisés dans le travail des métaux et des peaux.

Comment expliquer le refoulement de ces violences dans la mémoire collective arménienne ? Outre le fait que la version douce de ces déplacements de populations est flatteuse pour les Arméniens et leurs qualités d’artisans, la volonté de maintenir à tout prix de bonnes relations avec la majorité musulmane a pu favoriser la pérennité de ce mythe.

Au dix-neuvième siècle, beaucoup sont partis vers la Russie. Mais, après la soviétisation de l’Arménie, 40 000 Dachnaks (nationalistes arméniens, du nom du parti Dachnak) ont passé le fleuve Araxe pour fuir le communisme. Après 1915, leurs rangs se sont également gonflés des réfugiés fuyant les massacres en Turquie.
Une intégration sans assimilation
Quand l'Iran a subi les invasions arabes, les zoroastriens n’ont eu de choix qu’entre la conversion et la mort, mais les chrétiens et les juifs bénéficiaient de la “ protection ” musulmane. On leur appliquait le statut de la “ dhimmitude ” (statut des “ gens du Livre ” en pays musulman, protégés, séparés et inférieurs). Ce qui n’empêchait pas, sous les Abbassides au Xe siècle, les élites chrétiennes et arméniennes d’avoir un rôle actif à la cour de Bagdad.

Selon Jean-Pierre Valognes, il y a des nuances importantes entre la situation des chrétiens de l’Empire ottoman et celle des chrétiens d’Iran : en Iran, leur statut n’était pas codifié de façon rigoureuse et leur sort dépendait surtout de la tolérance des souverains et des populations. Néanmoins, on observe le même schéma d’“ intégration ” économique et sociale sans assimilation culturelle et religieuse : un mode de vie communautaire, endogame, où les conversions à l’islam sont rares, ce qui nous permet de parler de “ ségrégation ”, mais en même temps les chrétiens jouaient un rôle économique et même politique parfois important. Au XIXe siècle, avec l’ouverture vers l’Occident, beaucoup sont devenus traducteurs ou diplomates.

De même, leur participation au mouvement constitutionnaliste de 1906-1907 est révélateur non seulement de leur imprégnation par les influences occidentales, mais également de leur intégration dans la société iranienne2. Même si la constitution de 1906 réservait aux seuls musulmans l’exercice de fonctions publiques, les chrétiens, et les Arméniens en particulier, occupaient des postes de vice-ministres, et la représentation parlementaire des minorités date de cette époque. En 1943, leur statut est codifié, en reprenant largement les coutumes. Ainsi des tribunaux propres à chaque communauté religieuse tranchaient les litiges en matière de droit civil.
Après 1979, la thèse du départ
Il y a une incertitude quant au nombre exact des Arméniens actuellement en Iran. Selon Béatrice Kasparian-Bricout, en 1979 ils étaient 300 0003. Selon Jean-Pierre Valognes, la révolution a conduit au départ d’au moins 50 000 Arméniens, ramenant leur nombre à 150 000 personnes, dont 100 000 à Téhéran, 10 000 à Isfahan, 2 000 à Tabriz et quelques milliers dans le Khousistan. Après la révolution, leur nombre serait même descendu à 100 000, pour remonter avec le retour de certains exilés. Néanmoins, les migrations vers l’extérieur ne datent pas seulement de la révolution de 1979. Au XIXe siècle, beaucoup ont émigré en Russie, et Jean-Pierre Valognes rappelle la constance de ces départs dans l’histoire de la minorité arménienne d’Iran.
Le communautarisme ethnique d’une minorité religieuse dans la république islamique

[size=16]Le droit d’être séparés
La loi, leurs droits, leurs limites
La République islamique a ancré un statut mi-ségrégationiste, mi-protectioniste. Protégés, les Arméniens le sont grâce à la reconnaissance constitutionnelle, dont les persécutions contre les baha’is montrent l’importance. Cette reconnaissance accorde aux minorités la liberté d’accomplir leurs rites religieux et d’enseigner leur religion.

Un texte de 1984 précise les droits des minorités : Ils bénéficient ainsi d’une représentation garantie au parlement (2 sièges pour les Arméniens, 1 pour les Assyro-chaldéens, 1 pour les juifs, 1 pour les zoroastriens), plus importante que ne le voudrait leur poids démographique.

Cette protection est “ ségrégative ” ou “ communautariste ”, dans le sens où les minorités ont une législation et des institutions propres pour ce qui concerne le droit civil. Les mariages et les divorces sont régis selon les lois chrétiennes (ou juives), et l’état-civil de ces populations est géré par leur Église, cette situation étant finalement la conséquence logique de l’islamisation de la législation civile.

Depuis le début de la révolution, les chrétiens jouissent ainsi de libertés que leur jalousent parfois les musulmans. Dans les lieux “ publics ” qui leur sont réservés (on peut parler de lieux communautaires), les femmes et les hommes se mélangent et les femmes sont autorisées à ne pas porter de hejab. Les chrétiens sont également autorisés à fabriquer de l’alcool et à en consommer, s’ils n’en vendent pas aux musulmans.

Les Arméniens ont par ailleurs pu conserver la plupart de leurs institutions communautaires, leur journal, Alik écrit en Arménien et leurs associations (une quinzaine dans la capitale, dont la plus connue est Ararat, avec 2 000 adhérents, un centre à Téhéran, un à Isfahan, un à Tabriz ; les activités sportives et culturelles d’Ararat en font l’un des centres de la vie communautaire des Arméniens) dont nous analyserons plus loin la gestion.

Mais, en même temps, ils ont été chassés de la fonction publique et de l’enseignement. Ils n’ont pas droit aux mêmes prestations sociales que les musulmans et sont passibles, en matière criminelle, de peines spécifiques : dans les contentieux, ils doivent accepter une sorte de “ loi du talion ” qui leur est défavorable et qu’ils ressentent comme une injustice archaïque. L’un d’eux nous confie : “ Dans un accident, si un chrétien tue un musulman, il en a pour des années de procès et doit verser des sommes considérables à la famille de la victime. Si c’est un musulman qui cause le décès d’un chrétien, il ne verse rien ! C’est injuste ! ”.

Le ministère de la Culture et de la Guidance islamique et son bureau des minorités doivent donner des autorisations pour toutes les activités communautaires. Mais le ministère de l’Intérieur est également en charge des questions concernant les minorités. On peut se demander si ce chevauchement de responsabilités ne contribue pas à alourdir la tutelle qui est ainsi exercée sur les Arméniens.

Il est néanmoins intéressant de noter que, sous couvert d’une représentation religieuse, il existe en fait une représentation ethnique de la minorité arménienne. Les autres minorités linguistiques en Iran n’ont pas droit à la même représentation politique et ne bénéficient pas des mêmes libertés pour enseigner leurs langues.

L’Iran est en effet un pays multiethnique qui compte 5 millions de Kurdes et de Lores, 13 millions d’Azéris, 3 millions de Turkmènes, 1 million d’arabophones et 4 millions de Baloutches. Parmi eux, il y a 15% de sunnites. La tradition centralisatrice en Iran s’est accentué durant la République islamique4, et Yann Richard5 rappelle que les non-chi’ites n’ont pas leur place dans le nouveau régime. De plus, le poids de la guerre avec l’Irak (1980-1988) dans l’affirmation d’une identité iranienne unie ne peut être ignorée.

l’éclatement du pays. Ces tendances ne représentent pas un véritable danger, mais la vigilance de l’Etat central a traditionnellement été très forte, surtout dans les périodes de crise et de transition. Les minorités religieuses en ont subi les effets autant que les minorités linguistiques des régions périphériques du pays. Ainsi, comme le rapporte Ervand Abrahamian, Réza Chah en 1938 avait déjà retiré aux écoles arméniennes le droit d’enseigner leur langue. Cette crise fut néanmoins passagère, et en 1979 les Arméniens disposaient d’une trentaine d’établissements scolaires où l’enseignement était dispensé en deux langues.
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MessageSujet: Re: les Arméniens d'Iran   les Arméniens d'Iran Icon_minitimeMer 28 Jan - 2:31

L’enjeu de l’enseignement
Depuis 1979, le nombre de ces établissements ne s’est pas réduit, mais les conditions d’enseignement ont changé, sous l’effet de la volonté étatique de contrôler l’enseignement religieux et de promouvoir le persan au détriment des langues minoritaires.

En effet, depuis la révolution de 1979, l’administration des écoles n’est plus aux mains des communautés. Des proviseurs, directeurs, surveillants et enseignants musulmans ont été nommés.

Les manuels doivent être approuvés par le ministère de la Culture et l’utilisation d’un catéchisme syncrétique d’inspiration islamique est obligatoire. “ Il y a un livre pour les minorités, toutes les minorités, qui est un livre parlant de Dieu en général sans citer aucun prophète. C’est surtout de l’idéologie ”, nous confie une Arménienne en charge d’une association de parents d’élèves. D’ailleurs, selon les enseignants, les chrétiens peuvent être présentés aux jeunes élèves arméniens comme des “ infidèles ” : “ notre prof nous dit régulièrement que les non-musulmans sont “ câfer ” ”, nous confie une adolescente.

Mais le véritable enjeu se situe au niveau de l’apprentissage de la langue arménienne. Avant la révolution, l’enseignement dans les écoles arméniennes était en arménien et en persan. Ce principe a été remis en cause et le persan est obligatoire pour pratiquement toutes les matières. Au début des années 1980, deux heures d’arménien étaient prévues dans le primaire, et il était interdit dans les locaux scolaires d’enseigner la religion chrétienne, car cet enseignement devait avoir lieu dans les églises. En 1983-84, suite à la revendication exprimée par les parlementaires arméniens pour que l’enseignement du catéchisme se fasse en arménien dans les écoles, plusieurs directeurs arméniens ont été destitués6.

Depuis deux ans, la religion est néanmoins enseignée dans les écoles, en langue arménienne avec une bible publiée par la communauté. Ce cours de religion est rapidement devenu prétexte à un cours de langue. Dans le secondaire, aucun cours de langue n’était prévu hors de cet enseignement religieux. Depuis 1995, selon une responsable d’une association de parents d’élèves : “ le régime a accepté qu’il y ait un cours de langue en dehors du cours de religion ”. De même, depuis l’année dernière, les vice-présidents des écoles peuvent être arméniens. Comme les professeurs d’arménien, ils sont payés par la communauté, car le ministère de l’Éducation n’engage pas de non-musulmans.

Interrogé sur les écoles, un responsable communautaire répond néanmoins : “ Tout est entre “ leurs ” mains, ils censurent les livres en arménien pour les expurger des textes nationalistes, des proviseurs musulmans sont nommés dans les écoles, les enseignants sont persans. Petit à petit, les enseignants non-musulmans sont partis à la retraite, et le ministère de l’Éducation n’engage plus de chrétiens. En plus, c’est plus difficile pour les Arméniens d’entrer à l’université. Il y a un test de religion, qui a un coefficient très important. Longtemps, il a été très difficile pour les non-musulmans qui n’avaient pas de manuel ”. Surtout, selon lui, les Arméniens ont pu résister aux pressions car ils possédaient les murs des écoles : “ La plupart des écoles, leurs bâtiments, appartiennent à la communauté. En fait, nos enfants sont des privilégiés : il n’y qu’un roulement par classe chaque jour7, alors que dans les écoles persanes il y a parfois deux ou trois roulements ”. Il constate néanmoins une amélioration de la situation : “ Maintenant, il y a plus d’égalité, on a plus de courage, plus de revendications, sur cette question essentielle des écoles ”.
Une représentation politique double
Deux représentants arméniens sont régulièrement élus au Madjles depuis la révolution, pour Téhéran-Tabriz-Racht d’une part, Isfahan et Chiraz d’autre part.

Parallèlement il existe une représentation politique communautaire des Arméniens, dotée de trois organes qui correspondent à trois diocèses : les “ thémakans ” d’Isfahan, de Téhéran et de Tabriz. A Téhéran, une réunion de 42 représentants élus (1 représentant pour 5 000 personnes), sorte d’assemblée législative, élit pour 2 ans un conseil, un exécutif de 11 personnes. En théorie, cette institution dépend de l’Église, mais ses représentants sont des laïcs.

La composition de l’assemblée est symboliquement approuvée par l’Église. Le rôle de ce conseil est de s’occuper des associations et des écoles. Ainsi, il est chargé d’engager les professeurs d’arménien et de les payer. De plus, certaines écoles appartiennent à ce conseil, et il a en charge des réparations touchant les bâtiments scolaires.

Ce système de représentation communautaire est antérieur à la révolution. Il n’a semble-t-il, aux yeux du régime islamique, que peu de légitimité. En effet, alors que les élections au Madjles ont lieu régulièrement, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné d’autorisation pour que les élections de l'exécutif communautaire soient organisées.

Dans la logique de l’Etat-nation iranien, ce communautarisme, qui se traduit en quelque sorte par "un Etat dans l’Etat", occupe une place paradoxale. Le pouvoir central fait donc parfois sentir sa tutelle aux Arméniens. Ainsi, l’année dernière, le ministère de la Culture ne donna son autorisation pour les festivités de Noël qu’au tout dernier moment. Les associations en charge de leur préparation ont organisé ces festivités sans savoir si elles pourraient finalement avoir lieu.
Le repli sur soi communautaire
[/size][size=16]L’entente cordiale des “ Églises[url=http://209.85.129.132/search?q=cache:4_iuPOSxewEJ:cemoti.revues.org/document1451.html+%22L%E2%80%99enseignement+de+la+langue+arm%C3%A9nienne,+en+l%E2%80%99Irak%22&hl=fr&ct=clnk&cd=2&gl=fr#ftn7]8
Traditionnellement orthodoxes, dépendant de l’Église grégorienne, certains Arméniens, avec l’ouverture de l’Iran aux influences occidentales, se sont convertis au protestantisme ou au catholicisme. La communauté orthodoxe reste néanmoins majoritaire9.

C’est la légitimité religieuse qui permet aux Arméniens l’expression de leur identité ethnique. On peut donc se demander si la révolution a augmenté le pouvoir de l’Église arménienne. L’Église s’est en effet d’emblée posée comme interlocuteur du régime islamique. Après la révolution, le catholicos arménien de Sis, lui-même ancien évêque d’Isfahan, s’est aussitôt rendu en Iran pour y rencontrer l’ayatollah Khomeyni, et la photo qui immortalise la rencontre orne tous les lieux communautaires arméniens.

Néanmoins, dans les structures communautaires, le poids de l’Église est surtout symbolique et apparaît comme une façade de légitimité protectrice à opposer au régime islamique. La fréquentation de l’église arménienne, quoique régulière, représente avant tout une habitude de sociabilité communautaire plus que l’expression d’un sentiment religieux. Les particularismes religieux et national ont toujours été deux éléments constitutifs et complémentaires de l’identité arménienne, sur le territoire arménien ou dans la diaspora. Cette confusion se perpétue dans le cadre de la République islamique, entretenue par les Arméniens et l’Etat iranien.
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MessageSujet: Re: les Arméniens d'Iran   les Arméniens d'Iran Icon_minitimeMer 28 Jan - 2:31

L’entente cordiale des Etats[/size]
[size=16]La convergence des intérêts irano-arméniens face à la Turquie a pu également contribuer à la tolérance dont les Arméniens ont bénéficié dans la République islamique. La facilitation des manifestations anti-turques qui ont lieu chaque année le 24 avril pour commémorer le génocide arménien semble l’illustrer. En 1993, l’église arménienne a publié un communiqué déclarant “ infondées ” les accusations de violations des droits des minorités religieuses portées contre l’Iran par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Côté musulman, on souligne que les Arméniens ont donné leurs martyrs de guerre durant le conflit avec l’Irak.
Malgré l’entente cordiale, “ l’auto-ségrégation ” volontaire
En parlant de repli sur soi, nous semblons nous référer à un “ avant ” où les Arméniens auraient été moins “ fermés sur eux-mêmes ”. Il est difficile de comparer avec la période pré-révolutionnaire. Des arméniens, surtout des jeunes, ont participé aux journées révolutionnaires de 1978-79. Mais ils participent également régulièrement aux scrutins électoraux qui se déroulent depuis la révolution. Pourtant, le repli communautaire semble patent. La plupart des associations sont liées au parti Dachnak, le parti nationaliste. Une “ opposition ” à ce parti existe mais elle a peu de poids. Surtout, le repli communautaire s’inscrit dans le vocabulaire et parfois, comme le montre l’exemple de “ Haykachen ” dont nous allons parler, dans l’espace.

Les Arméniens parlent des musulmans en les désignant comme les “ Persans ”. Les Persans, eux, les désignent de plus en plus comme une “ minorité ” (aghaliat), et passeport et carte d’identité en Iran mentionnent la religion du titulaire. L’utilisation de ce terme d’aghaliat apparaît comme une nouveauté, datant d’après la révolution, et témoignant de la médiatisation de la question des minorités religieuses.

De manière empirique, on a également recueilli parmi les Arméniens, des discours très communautaires, qui font eux-même une différence avec la période pré-révolutionnaire. Ainsi, un père de famille : “ Mon fils ne parle pas très bien le persan. C’est parce qu’il ne se mélange pas. Même à la télé, il regarde des films en anglais ou des dessins animés japonais. Moi-même, je parle moins bien le persan. Avant la révolution, j’avais des amis persans, mais maintenant les seuls Persans que je fréquente sont mes collègues ”. De même, témoignant du mode de vie en réseau communautaire, une jeune femme arménienne qui vit à Téhéran : “ Je serais Persane, j’irais vivre à Isfahan, mais le réseau arménien n’est pas le même là-bas, les Arméniens sont très différents. Ici, je connais tout le monde.

Il n’est pas rare, nous ont rapporté d’autres Arméniens, que les Pasdaran se montrent plus tolérants avec les minorités. “ Une faute grave, comme écouter de la musique occidentale, l’est moins pour un non-musulman ”. Paradoxalement, ils bénéficient donc de plus de libertés que les musulmans sur le plan des moeurs, cette liberté, ces privilèges, contribuant à leur manière au repli communautaire.

“ Haykachen ”, un camp exclusivement réservé aux Arméniens sur les bords de la mer Caspienne, illustre parfaitement cette situation. Il s’agit d’un des seuls endroits en Iran où une femme puisse se promener dans la rue les cheveux découverts. Ce centre a été fondé il y a trente ans, au bord de la mer Caspienne, par un prêtre catholique arménien. Cent cinquante villas, une église, un supermarché sont clôturés par un mur et il est interdit aux musulmans d’y pénétrer. “ Avant la révolution, on y était moins libres qu’ailleurs, car les femmes en bikini étaient interdites. Maintenant, on y est plus libre qu’ailleurs car les Pasdaran sont interdits ”. Le prêtre qui dirige le camp a en effet négocié cette liberté avec le gouvernement et a obtenu un droit de “ ségrégation protégée ”. Ce prêtre est catholique, religion minoritaire chez les Arméniens, (le lieu est ouvert à tous les chrétiens), malgré cela, il représente lui aussi une figure de religieux jouant un rôle d’intermédiaire. Autre exemple de "privilège ségrégatif" enfin, le club arménien à Téhéran est le seul restaurant en Iran où les femmes peuvent ne pas être voilées. Les musulmans en sont bien sûr exclus.
Conclusions
Bénéficiant d’une tolérance mitigée, protégés mais sous tutelle, plus libres que les Kurdes et parfois même que les Persans, mais néanmoins inférieurs, telle est la situation paradoxale des Arméniens d’Iran. Selon J.P. Valognes, le régime a compris que les minorités religieuses, non seulement ne menaçaient pas son pouvoir, mais pouvaient contribuer à illustrer son libéralisme. Surtout, il a hérité d’une longue tradition de tolérance, et la communauté arménienne, par l’entremise de ses dignitaires religieux, a su se montrer pragmatique. De plus, l’évolution générale de la République islamique semble aller vers un consensus entre l’Etat et la société civile.

Ainsi l’arrivée de Mohammad Khatami au pouvoir a été bien accueillie par les Arméniens et surtout les Arméniennes. Pourtant, son passage au ministère de la Culture est associé avec une période difficile pour les Arméniens. Mais il s’agissait des années de guerre, où l’affirmation de l’unité iranienne primait sur le reste. Son adversaire conservateur, Ali-Akbar Nategh-Nouri (comme Jacques Chirac en France), avait tout fait pour séduire la communauté arménienne. Il est intéressant de noter que le plus moderne des candidats est le moins sensible aux “ communautarismes ” entretenus par le rigorisme du régime.

Bibliographie
F. ADELKHAH, J.F. BAYART, O. ROY, Thermidor en Iran, Bruxelles, éditions Complexe, 1993.

Gérard DÉDÉYAN, Histoire des Arméniens, Toulouse, Privat, 1982.

Béatrice KASBARIAN BRICOUT, Les Arméniens au XXème siècle, Paris, L’Harmattan, 1984.

Yann RICHARD, “ La constitution de la république islamique d'Iran et l’Etat-nation ”, dans Pierre-Robert Baduel (dir.), Etat moderne, nationalismes et islamismes, Aix-en Provence, Edisud, 1994.

Jean-Pierre VALOGNES, Vie et mort des Chrétiens d’Orient, des origines à nos jours, Paris, Fayard, 1994, pp.767-795.

Bat Ye’or, Les chrétientés d’Orient entre Jihad et Dhimmitude, Paris, éditions du Cerf, 1991.

Notes

1 Jean-Pierre Valognes, Vie et mort des Chrétiens d’Orient, des origines à nos jours, Paris, Fayard, 1994, pp.767-795.
2 Ervand Abrahamian, Iran between two revolutions, Princeton, Princeton University Press, 1982.
3 Béatrice Kasbarian Bricout, Les Arméniens au XXème siècle, Paris, L’harmattan, 1984, p. 34.
4 F. Adelkhah, J.F. Bayart, O. ROY, Thermidor en Iran, Bruxelles Complexe, 1993.
5 Yann Richard, “ La constitution de la république islamique d’Iran et l’Etat-nation ”, dans Pierre-Robert Baduel (dir.), Etat moderne, nationalismes et islamismes, Edisud, Aix-en Provence, 1994.
6 J.P. Valognes, Vie et mort des chrétiens d’Orient.
7 Les classes en Iran fonctionnent par roulement, car, face à la croissance démographique et aux progrès de la scolarisation, les infrastructures scolaires sont insuffisantes.
8 Il est bien sûr paradoxal de faire allusion à une “ église ” chi’ite, qui n’a pas d’existence institutionnelle.
9 Les Arméniens orthodoxes relevaient jusqu’en 1945 du catholicos d’Etchmiadzine, en Arménie alors sous tutelle soviétique. Ils ont donc demandé leur rattachement au catholicos de Sis, installé à Antélias au Liban. Leurs dignitaires religieux viennent généralement du Liban.
Naïri NAHAPETIAN, «République islamique et communautarisme : les Arméniens d'Iran», in Cemoti, n° 24 - Métropoles et métropolisation, [En ligne], mis en ligne le 28 février 2005. URL : http://cemoti.revues.org/document1451.html. Consulté le 24 décembre 2008.

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